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l'arrivée chez Michel Butor (page précédente)

Anne Clerc a rencontré Michel Butor à l'occasion d'une maîtrise de lettres

sur la corres-pondance entre Georges Perros et Michel Butor
Anne Clerc Pourquoi vous avez décidé de publier la correspondance que vous avez entretenue avec Georges Perros ? On vous l’a proposé ou avez-vous pris vous-même cette initiative ? Cet
est donc
in
entretien tout à fait
édit
Michel
Butor
Comme vous le savez, ça s’est fait en deux fois : j’ai commencé par publier les lettres de Georges Perros, puis après ça c’est un éditeur qui m’a demandé de publier l’ensemble de la correspondance, enfin ce qui a été retrouvé bien sûr. Alors au début, j’ai eu envie de publier cette correspondance parce que je la trouvais très belle et puis Georges Perros était mort, et il y avait le danger très fort qu’il tombe complètement dans l’oubli. Mais ça ne s’est pas du tout passé comme ça et la correspondance a joué un rôle dans cette espèce de notoriété qu’il a prise depuis.    
Ses lettres sont très belles, certaines sont comme des poèmes en prose. Et j’ai publié d’abord uniquement ses lettres, parce que, c’est ses lettres qui étaient intéressantes, et moi, mes lettres, ne l’étaient pas spécialement... Enfin vous avez lu, vous savez comment j’écris. J’écris des espèces de petites notes très vite, très courtes, pour entretenir la correspondance. Georges a aussi une correspondance brève, c’est très rare qu’il y ait des lettres qui dépassent une page. Mais souvent, les miennes sont encore plus courtes. Alors ce n’est pas très intéressant, mes petites indications. L’éditeur Joseph K., a eu envie d’avoir l’ensemble de la correspondance parce que les lettres s’expliquent les unes les autres. Il y a des quantités de détails dans les lettres de Georges Perros qui sont difficilement compréhensibles si on n’a pas la lettre à laquelle il répond ou disons, pas forcément la lettre même à laquelle il répond, mais l’ensemble de mes lettres.    
Dans l’ensemble de la correspondance vous avez toujours le même style. Je voulais savoir si vous aviez toujours la même approche dans vos correspondances avec vos différents correspondants, ou est-ce toujours la même manière de procéder quand vous rendez compte de votre travail ?    

M.B. : Oui je crois que c’est toujours la même chose, c’est pour ça que je ne trouve pas que ce serait intéressant de publier ma correspondance complète. Mes interventions sont intéressantes à cause des lettres auxquelles elles répondent et qu’elles vont susciter. Sinon, j’écris beaucoup de lettres et ce n’est pas du tout énorme par rapport à certaines personnes, mais disons qu’en gros, j’envoie une dizaine de lettres par semaine alors ça fait beaucoup au bout d’un certain nombre d’années. Ces dix lettres que j’envoie la même semaine et que je fais le même jour ou bien sur deux jours, j’y dis à peu près la même chose.

Alors on peut dire qu’il y a deux parties dans mes lettres : il y a une espèce de journal d’informations, des indications sur l’état de la maison, qui est à peu près identique pour les dix correspondants, et puis il y a une partie spéciale pour chacun, souvent des réponses à des questions. Je pense à quelqu’un, il faut que je lui réponde, j’ai une lettre qui se fait dans ma tête déjà. Parfois je fais complètement autre chose et quand je referme ma lettre je me dis " j’ai complètement oublié de dire ce pourquoi j’écrivais ", quelque fois je mets un Post Scriptum sur l’enveloppe. Il y a toute une correspondance imaginée, et puis la correspondance véritable, ce qui effectivement est écrit.

Mais vous voyez, Georges Perros écrivait surtout de la correspondance, et donc lorsque sa correspondance sera complètement publiée ce qui est très loin d’être fait, on s’apercevra qu’il écrivait énormément. Si j’écrivais une dizaine de lettres par semaine, et j’écris toujours un dizaine de lettres par semaine, je pense que lui écrivait une vingtaine de lettres par semaine.

   

J’ai abordé la correspondance sous trois aspects : d’abord comme un document historique, en sachant que vous ne parlez pas beaucoup des événements qui se sont passés à cette époque. J’ai donc noté deux grands événements : mai 68 et ensuite le manifeste des 121 lorsque vous vous êtes engagés et qui est lié aux Éditions de Minuit.

 
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M.B. : Les Éditions de minuit, c’est personnel. Pour mai 68 ou le manifeste des 121, c’est l’histoire avec un grand H, tandis que mes démêlés avec les Éditions de Minuit, c’est des affaires de boutiques.

   

Ensuite, j’ai choisi d’aborder le style épistolaire. La manière d’écrire des lettres, surtout chez Perros et de transmettre l’information. En outre, le fait qu’il y ait certaines de vos lettres qui soient perdues, notamment sur la fin de la correspondance ; cela donne une toute autre tonalité à l’échange.

   
M.B. : Georges Perros ne datait jamais ses lettres, c’est pourquoi il y a eu des changements entre la première édition et la seconde, parce qu’on a justement pu faire ça mieux, j’avais fait comme j’avais pu, on a donc pu préciser un certain nombre de choses. Moi je date toujours mes lettres. Il avait l’habitude de garder les lettres dans leurs enveloppes. Ce qui fait qu’il n’avait pas besoin de dater parce que si j’avais gardé les lettres dans leurs enveloppes, j’aurais pu retrouver la date avec le cachet de la poste, j’aurai eu la date à peu près, mais bon je ne garde pas les enveloppes parce que je reçois beaucoup de lettres. J’ai déjà beaucoup de mal à mettre de l’ordre dans tout mon courrier, c’est pour ça que j’ai donné toutes mes archives de tout mon courrier à la Bibliothèque Nationale jusqu'à 1996 ou même 1998 je ne sais plus où ça en est maintenant, parce que je n’arrivais plus à conserver tout ça. Alors lui par contre, conservait toutes les enveloppes. J’ai mes lettres à Georges Perros ici, je vais vous montrer. Il va chercher un vieux carton de colis postal contenant ses lettres à Georges Perros.    

Les lettres de Georges Perros sont à la bibliothèque de Nice ou a la BNF ?

   
M.B. : Les lettres de Georges Perros sont à la bibliothèque de la Faculté des Lettres de Nice. Et je voudrais bien les en enlever et que ça rejoigne la BNF, mais c’est à ces gens là de s’arranger entre eux, je ne peux pas faire tout ça. Il cherche dans le carton, et tend des photos et des lettres dans leurs enveloppes. Alors c’est Tania Poulot, qui m’a envoyé ces lettres que je lui avais demandé après la mort de Georges, justement pour éditer la correspondance, ses lettres. Voilà une des premières lettre que j’ai écrite. Là vous voyez tout est gardé. Il y a évidemment beaucoup d’informations qui étaient sur l’enveloppe.    
J’ai aussi souhaité étudier la façon dont vos lettres avaient évoluées quand vous avez fait les cartes collages.    
M.B. : Pendant un certain temps, j’ai écrit sur des photographies parce que pendant dix ans, j’ai fait des photographies. Plus exactement, de 1951 à 1961. Au bout d’un certain temps, je me suis mis à utiliser ces photographies comme soutien à mes correspondances. Il fouille et trouve une photo très petit format représentant des buildings. Voilà un exemple. Ça c’est Philadelphie, et puis j’écrivais aussi sur des cartes postales. Évidemment, tout ça n’est pas mentionné dans l’édition, il faudrait décrire tout le détail.    
Il y a quand même des petites notes dans la correspondance qui précisent l’origine et la nature du support.    

M.B. : Ah oui, je n’y suis plus. Au bout d’un certain temps, je pense dans les années 1970, j’ai commencé à faire des montages de cartes postales, là il y en a beaucoup, vous en avez vu…

 

   
J’en ai reçu une, merci !    
M.B. : À partir de ce moment, tout mon courrier se fait sur des montages, ça me prend du temps, mais pas tellement. Ça m’aide à faire mes cinq à dix lettres dans l’après-midi. Ça me facilite les choses. Voilà les prochaines que je vais envoyées (il tend une série de cartes collages). Il y a aussi beaucoup d’informations qui passent à travers ça. Pas une information tellement précise, mais évidemment, les éléments sont choisis de telle sorte que quelqu’un qui étudierait ça, pourrait relier ça au fait que ceci est un morceau d’une affiche touristique pour un gouffre de la Haute Garonne, voilà, etc. C’est une carte postale que j’ai fait mais qui date d’il y a longtemps, c’était pour l’arrivée de l’an 2000.    

Rencontriez-vous souvent Georges Perros ?

 
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M.B. : Au début oui, mais on a commencé à avoir une correspondance régulière à partir du moment ou on ne s’est plus rencontré, c’est ça la correspondance. Quand on se voit une fois par semaine, on n’a pas besoin de s’écrire. Surtout qu’il y a le téléphone maintenant, si on a quelque chose à se dire d’urgent, on prend le téléphone. Et maintenant on prend l’e-mail. Mais à cette époque là, si on se voyait tous les dix jours on avait pas besoin de s’écrire. Les gens qui sont à Paris, ils ne s’écrivent pas entre eux. Mais quand on est ailleurs, on s’écrit.

J’ai fait sa connaissance à la fin des années 1950, à peu près au moment où est paru mon premier livre, Passage de Milan. J’ai fait sa connaissance à la NRF dans le bureau de Jean Paulhan. Un ami commun, Georges Lambrichs, qui travaillait à cette époque là aux Éditions de Minuit, m’avait fait " entrer " dans cet espèce de sanctuaire de la littérature qu’était à l’époque le bureau de la Nouvelle Nouvelle Revue Française. Et j’ai rencontré là Georges Perros. Et il y a avait un certain nombre d’autres jeunes gens qui m’effrayaient beaucoup. Jean Paulhan m’intimidait beaucoup, j’étais très gêné. Il y avait des jeunes gens qui essayaient tous d’être un petit peu comme lui, de parler comme lui, et ça m’agaçait beaucoup. Georges Perros était vivant au milieu de tous ce gens qui pour moi étaient des espèces d’automates. Alors il était vivant et c’est comme ça qu’on s’est mis à se parler.

Pendant un certain temps, je l’ai vu souvent, quand j’étais à Paris. Je le voyais à peu près toutes les semaines. Et puis ensuite, je me suis mis à partir. Parce que souvent je n’étais pas à Paris, donc je suis parti… Les premières lettres datent de 1955, j’ai du lui écrire des lettres quand j’étais en Grèce, à Salonique. Après ça, je lui ai écrit des lettres de Suisse, bien sûr, de Genève, où j’étais. Puis ensuite, je me suis marié et puis nous sommes partis aux États Unis, etc. Les lettres témoignent surtout des moments où nous étions loin l’un de l’autre et je pense que c’est vrai pour toute correspondance.

   
Vous arriviez quand même à le voir assez souvent ?    

M.B. : Je le voyais assez souvent, sauf à la fin. J’étais à Nice et lui était à Douarnenez, c’était vraiment très difficile de se voir. Mais on s’est vu un certain nombre de fois car nous allions en vacances l’été ensemble au bord de la mer, en Vendée ou en Charente Maritime. Lui venait en moto jusque là. Et dans les derniers moments, quand il était à l’hôpital de Marseille, alors je suis allé le voir une ou deux fois, mais là, on ne se voyait presque plus, forcément.

   
Georges Perros en tant que lecteur, par rapport à votre œuvre, vous a apporté beaucoup. C’était toujours lui le premier lecteur ?    

M.B. : À partir du moment où je l’ai vraiment connu, oui. Mes premiers livres, je n’ai pas pu les lui donner à lire. Mais je pense qu’à partir de La Modification, je lui ai fait lire le manuscrit. Et après ça, je lui ai envoyé tous mes manuscrits avant publication. C’était un très bon lecteur qui lisait cela très attentivement, il m’envoyait des lignes de corrections orthographiques ; avec de temps en temps des suggestions, des remarques. Ça a toujours été très précieux.

   

Par rapport à d’autres écrivains, comme Sartre ou Camus, on a l’impression que vous êtes distants par rapport aux événements historiques. Je voulais savoir comment vous conceviez l’image de l’écrivain par rapport aux faits qui pouvaient se dérouler à l’époque.

 
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M.B. : Évidemment j’ai été très malmené par les évènements politiques, comme tout le monde, et j’ai essayé le plus possible de me tenir à l’écart pour mieux comprendre se qui se passait, pour ne pas être pris par des réactions d’opinion publique trop rapides. À l’écart est le nom de sa demeure actuelle. J’ai connu un peu Sartre, mais il y avait une grande différence d’âge, et lui était tellement célèbre. Mais Camus je ne l’ai pas connu. Je l’ai vu de loin une fois quand il était venu à Salonique faire une conférence. J’étais lecteur ce jour là. Et c’est tout. Je n’en ai pas profité, j’ai eu bien tort, mais j’en ai pas profité pour me présenter, pas du tout.

Tandis que Perros, lui, était assez lié à Camus. Ils se connaissaient, je ne sais pas s’il y a des lettres, peut-être bien. Mais alors lui était aussi très retiré, c’était une espèce d’ermite. Après la vie de théâtre, il a choisi de se retirer dans une espèce d’ermitage qui finalement est devenu Douarnenez. Il vivait bien sûr les événements politiques, mais il n’y avait aucune espèce de raison pour lui d’y participer directement, ceci dit, on est quand même venu le chercher. Il y a eu des moments où on lui a demandé, et il n’était pas question pour lui de se dérober, pas plus que pour moi. Mais dès que la tension retombait, je pense en particulier aux événement autour de mai 68, et qu’il était possible de retrouver un peu de calme pour avoir une vision un peu plus claire, alors évidemment, on en profitait.

   

En dehors du duo que vous formez dans la correspondance, quelles étaient les autres personnes qui gravitaient autour de vous, les amis ? Beaucoup de noms sont mentionnés dans la correspondance mais y a t-il des gens auprès de qui vous vous sentiez plus proches ?

   

M.B. : Oui, il y avait une sorte de cercle, ceci dit, il avait une correspondance très importante en dehors de ce petit cercle, avec des gens plus âgés que lui, Jean Paulhan, etc. Et puis aussi des gens plus jeunes que lui. Alors le petit cercle dont je parle c’était en particulier, Georges Lambrichs et Pierre Klossowski. Comment dire, on ne passait pas des vacances ensemble, c’était plus subtil que ça. Nous connaissions Pierre Klossowski comme écrivain auparavant, mais nous nous sommes beaucoup rapprochés lorsqu’il y a eu cette aventure du théâtre de société. Vous voyez, dans le livre de Pierre Klossowski qui s’appelle Les lois de l’hospitalité, il y a une partie qui s’appelle Le Souffleur et là, il raconte une tentative de faire du théâtre avec son livre, Roberte, ce soir. alors on se retrouvait. Il m’avait demandé de jouer le rôle d’Antoine. Et il avait demandé à Perros de jouer le rôle d’Octave. Il avait demandé à d’autres personnes de jouer les personnages fantastiques. Mais ça n’a jamais marché. Et c’était sa femme Denise qui jouait son propre rôle. Alors ce qui était curieux c’était que Perros jouait devant Pierre Klossowski le rôle de Klossowski. Il y a eu de nombreuses répétitions dans l’atelier de Balthus, le frère de Klossowski, cours d’Oran. C’est là que Klossowski vivait à ce moment. Alors nous répétions. Il y avait des moments où c’était très amusant, il y a des moments où c’était très difficile, très gênant. Alors lorsque nous sortions, nous avions absolument besoin de nous libérer un peu. On buvait des bières, on parlait beaucoup, de Klossowski et d’autres gens. Dans les lettres, il y a beaucoup d’allusions au couple de Klossowski, Pierre et Denise, et au couple Lambrichs, Georges et Gilberte.

   

Vous mentionnez également souvent Roland Barthes.

 
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M.B. : À une certaine époque, c’était un peu plus tard que l’histoire du théâtre de société, Roland Barthes a vu assez régulièrement Klossowski, ils habitaient tout près l’un de l’autre. Lorsque nous avons fait les répétitions du théâtre de société, il était chez Balthus, cours d’Oran, près du métro Odéon. Mais auparavant, Pierre Klossowski habitait avec sa mère tout près de St Sulpice. Et Roland Barthes aussi, habitait chez sa mère, dans la rue d’à coté, il y avait la rue Féroux et la rue Servandoni. Quand ils se sont rendus compte qu’ils étaient aussi proches alors ils se sont vus et il y a eu un assez grand nombre de réunions chez Balthus, dans son appartement car il n’était pas là. Des réunions où Roland Barthes et Denise Klossowski, ou Georges Perros faisaient du piano à quatre mains. Et moi, quelquefois je chantais.

   

Et sinon, en ce qui concerne l’œuvre de Roland Barthes on a l’impression que tous les deux vous l’admiriez beaucoup.

   

M.B. : On admirait beaucoup l’écrivain et on aimait beaucoup l’homme, il y a eu un moment où il s’est éloigné de nous. Ça se passe souvent comme ça. Il a été capté on peut dire par le groupe de Tel quel, qui montait une garde jalouse autour de lui, et puis il est devenu professeur au Collège de France. Très souvent les gens qui réussissent, sont d’une certaine façon beaucoup plus difficiles à voir. Dans les dernières années on le voyait beaucoup moins.

   
La correspondance est également traversé par la musique, notamment lors de votre expérience avec Henri Pousseur. C’était un point commun aussi dans votre relation avec Georges Perros ?    

M.B. : Henri Pousseur est un très bon ami aussi, je ne sais pas s’ils se sont jamais rencontrés, peut-être une ou deux fois, mais il admirait Perros, en particulier comme écrivain. Georges Perros aimait beaucoup la musique, c’était très important pour lui la musique, c’était très important pour lui d’avoir un piano, et à Douarnenez pendant quelque temps, il a un peu gagné sa vie comme professeur de piano. Et donc il jouait beaucoup. Mais son jeu c’était toujours de la lecture, c’était toujours du déchiffrage de choses qu’il connaissait par cœur, mais vous voyez, il n’a jamais travaillé un morceau. Autrefois quand il était jeune sûrement, mais après non, c’était pour lui un instrument de perception, il n’a jamais mis au point un morceau pour le faire entendre. C’était toujours la relation au musicien par l’intermédiaire de la lecture qui l’intéressait. Alors j’aimais beaucoup la musique, on en parlait, seulement moi je ne jouais pas de piano. J’ai chanté un peu. Avec lui on déchiffrait du Schubert.

   
Par rapport à la critique, par exemple avec Mobile, on a vraiment l’impression dans la correspondance que vous avez été victime de la critique et qu’il y a quelque chose d’assez fort par rapport à cette notion, l’impression d’avoir été incompris.    
M.B. : Bien sûr, c’est tout à fait normal, je ne suis pas le seul dans ce cas là. Tous les écrivains un peu importants ont eu un peu maille à partir avec les critiques. Forcément, lorsqu’on apporte quelque chose d’un peu nouveau, on dérange, et puis, les gens ne sont pas habitués, ils ne savent pas comment lire, ils ne comprennent pas. Il y a des moments où c’est très difficile, pour moi c’était très important d’avoir la confiance de quelqu’un comme Georges Perros qui me disait " vas-y continue, c’est formidable ", sans ça c’est très difficile car on est tenté de se dire " j’ai été trop loin " ou " il faut que je m’assagisse, je vais écrire mon bon petit roman… " alors il m’a beaucoup aidé pour ça, mais j’ai aussi beaucoup été aidé par tous les autres écrivains que j’admirais.    
Sinon quel regard posez-vous sur l’œuvre de Perros : les Papiers Collés, Une vie ordinaire ?  
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M.B. : J’aime beaucoup. L’œuvre de Perros, c’est Papiers Collés, et puis un certain nombre de poèmes. En tout, ça fait un gros volume. J’aime beaucoup, je suis touché. Le premier volume des Papiers Collés, sont des textes antérieurs à notre rencontre. Tandis qu’ensuite, tous les textes de Papiers collés 2 et 3, et puis des poèmes, je les ai vus naître ! Lui aussi, de temps en temps, il m’envoyait des copies, parce qu’il pensait que ça m’intéressait, ce qui était vrai, puis il voulait avoir un peu mon avis, mon sentiment.

   
Comment expliqueriez-vous le fait qu’il soit si peu connu ? Parce qu’il souhaitait avoir une position de repli ?    
M.B. : Tout à fait, il n’a jamais cherché à se faire connaître. Jamais. Il était. Ce rôle qu’il jouait comme ça, cet espèce de confesseur, vous voyez, d’oreille attentive, c’était très important pour lui. Il sentait qu’il avait de cette façon là une place et un rôle uniques et qu’il agissait très fortement de cette façon là. Il n’allait pas essayer d’avoir des prix littéraires, d’ailleurs il en a eu des prix littéraires, alors pas le genre Goncourt, tout ça, mais il a été un peu reconnu, à la fin de sa vie.    
Quel rapport avait-il avec la publication de ses œuvres tout en sachant qu’il ne cherchait pas la notoriété ?    
M.B. : Il ne la cherchait pas, mais par exemple quelqu’un comme Georges Lambrichs a joué un grand rôle dans ses publications. Il était très heureux d’être publié parce que ça élargissait justement ce cercle d’amis et il y a beaucoup de gens qui l’ont découvert par des publications, évidemment. Parce qu’il publiait dans des revues comme la NRF ou d’autres, et puis il y eu ses livres et beaucoup de gens ont été frappés par Papiers Collés ou Une vie ordinaire. Ils se sont dits : " tiens, là, il y a quelqu’un " et qui lui ont écrit, qui ont voulu le connaître, ça a fait d’autres correspondances encore. Je pense notamment à Lorand Gaspar, etc.    
Les revues ont joué un rôle important, pour vous comme pour lui ?    

M.B. : Pour lui, il y a une revue qui a joué un rôle important, la NRF de l’époque. À l’intérieur de laquelle il écrivait. La NRF de l’époque qui était dirigée par Jean Paulhan et Marcel Arland. Mais c’était évidemment Jean Paulhan. Puis après ça, il y a eu Georges Lambrichs qui lui a demandé de faire ses chroniques sur la télévision, pour lui c’était très importants ces contacts par l’intermédiaire de cette revue prestigieuse. Il a publié dans d’autres revues quand on lui demandait mais, certainement ça a joué un rôle beaucoup moins important.

   
Et pour vous ?    
M.B. : Au début, quand j’ai publié dans la NRF, c’était très important. C’était une espèce de consécration de publier dans la NRF. Une autre revue qui a joué un rôle très important aussi, a été Critique. Au moment où c’était dirigé par Georges Bataille. Pour un jeune écrivain, c’était une consécration aussi de publier dans Critique. En dehors de ça les autres revues, je ne sais pas. J’ai publié dans des centaines de revues, je ne sais plus les noms. Lui aussi a publié dans Critique, mais un article je crois, sinon il a publié régulièrement dans la NRF. Ça c’était important pour lui.    
La NRF a perdu de son prestige ?    
M.B. : Ce n’est pas comparable.    
Qu’avait-elle dans les années cinquante qu’elle n’a plus aujourd’hui ?  
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M.B. : Il y avait à la tête des gens qui avait un goût très sûr et qui publiaient souvent des choses qui étaient très intéressantes. Tous les écrivains un peu importants de cette époque là ont publiés dans la NRF. Il y a eu la NRF de Paulhan. Et celle d’avant la guerre bien sûr, revue très prestigieuse. La NRF d’après la guerre, sous la gouverne de Paulhan, ça avait retrouvé tout à fait le prestige de la NRF d’avant la guerre. Quand Paulhan est mort, la NRF a ensuite été dirigée par Marcel Arland et Dominique Aury, c’était surtout Marcel Arland, qui avait moins de flair et moins d’audace que Jean Paulhan.

À ce moment là, Georges Lambrichs a dirigé une petite revue très intéressante qui s’appelle Les cahiers du Chemin, c’est une revue qui au début avait ce format là. Il montre un demi A4. Toute petite. Et alors là aussi, Les cahiers du chemin, c’était une espèce de revue modèle. Georges Lambrichs essayait de faire sa NRF à lui et il a bien réussi, c’est à dire que chaque numéro est remarquable. Presque tout était très intéressant. Il y a eu Les Cahiers du Chemin, et ensuite, une nouvelle formule un peu plus grande et puis finalement, Georges Lambrichs est devenu directeur de la NRF, Les cahiers du Chemin n’avaient plus de raison d’être, mais ce qu’il a fait à la NRF est beaucoup moins bien. La NRF s’est un peu endormie et affadie avec ses directeurs successifs, aujourd’hui c’est un souvenir. Il se publie une espèce de numéro par an qui est tout à fait médiocre. Il n’y a rien d’intéressant.

   
Êtes-vous encore en contact avec les proches de Perros ?    
M.B. : Non, plus du tout, je ne suis pas revenu à Douarnenez depuis la naissance du fils aîné : Frédéric. Nous étions allés à Douarnenez spécialement pour ça. Et puis nous avons passé des vacances à Douarnenez. En regardant la correspondance vous devez savoir ça mieux que moi ; depuis, je ne suis jamais retourné à Douarnenez. Frédéric je l’ai vu tout petit, ensuite je ne l’ai pas vu du tout grandir. Je n’ai plus de relation avec eux. Ils doivent se souvenir de moi, mais ça fait trente ans que je ne les ai pas vus.    

Il y a des lettres manquantes dans la fin de la correspondance.

   
M.B. : J’ai gardé à peu près toutes les lettres et lui gardait toutes les lettres que je lui ai envoyées. Mais il y a eu des déménagements. Les lettres de la dernière année n’ont pas été retrouvées. Peut-être seront-elles retrouvées, dans un carton, une malle, qui n’a pas été examinée.    
Que trouvait-on dans ces lettres, qui correspondent à une période très difficile pour Perros ?    
M.B. : Je n’en sais rien. je suis incapable de reconstituer ce qu’il y avait dans ces lettres. Entre chacune de ses lettres il y avait une lettre de moi, ça c’est certain, mais voilà, elles ne sont pas là.    
L’absence de ces lettres crée une tonalité très triste. On a l’impression d’avoir affaire à un monologue.    
M.B. : Oui, bien sûr, à la fin ça devient ça. C’est le hasard qui fait ça. Un paquet a disparu, un cinquantaine tout au plus.    
Par rapport à votre œuvre, votre correspondance apporte moins de clefs de lectures sur vos ouvrages que les lettres de Perros.  
début

M.B. : On trouve des indications historiques sur mes livres, on peu savoir qu’à tel moment je travaillais sur ce truc là. Pour un historien, c’est un document très précieux. Mais évidemment je n’explique pas et je n’avais pas à le faire car j’envoyais le texte. Il m’est arrivé plusieurs fois de lui envoyer deux ou trois fois le même texte parce que j’avais tenu compte de ses remarques et j’avais fait des transformations assez grandes alors je lui renvoyais pour voir l’effet que ça lui faisait.

   
Vous avez une écriture différente entre votre œuvre et votre correspondance, ce qui n’est pas le cas chez Perros.    
M.B. : J’ai une écriture différente selon les livres que j’écris. Le style de La Modification et de L’emploi du temps sont tout à fait différents du style de Mobile ou des chansons que j’écris maintenant. En profondeur, tout ça c’est quand même le même chose, mais en surface, c’est très varié, j’ai fait tout ce que j’ai pu pour que ce soit aussi varié que possible. Je n’ai plus fait de roman car à partir d’une certaine date j’ai été embarqué dans d’autres aventures et au début j’ai cru que je reviendrai au roman, et on m’a beaucoup demandé d’y revenir, les éditeurs imaginaient qu’ils pourraient gagner de l’argent avec ça, etc. Et puis, je n’ai pas eu le temps. Je me suis retrouvé tellement sollicité par des tas de gens qu’il y a toujours eu des choses qui sont passées avant. C’est très important et très significatif. Le roman s’est détaché de moi, ce n’est pas moi qui me suis détaché du roman. J’ai écrit d’autres choses plus difficiles à lire, qui en tout cas se lisent autrement.    
Pour vous la correspondance est-elle une activité qui vous détend ?    
M.B. : Non, ce qui me repose c’est de préparer mes lettres, de faire mes petits découpages. Mes lettres, non, mes lettres me demandent une grande concentration. Il faut que je reprenne les lettres en retard, que j’essaie de mettre au point mon objectif. Je remplis ma carte, c’est un contenant, je vais jusqu’au bout. Il y a des gens à qui j’ai simplement à dire des choses administratives, cela fait trois lignes. La plupart du temps, je remplis ma carte. Une fois que c’est rempli, c’est rempli. Je laisse juste la place pour dire " amitiés " et signer. C’est une habitude mais toujours un gros effort. Je donne quelques indications sur l’état de l’atmosphère puis j’essaie de répondre de la façon la plus claire et la plus brève possible. C’est une obligation pour moi la correspondance, puisque je vis " à l’écart ". Il faut que j’écrive des lettres, je vis de la correspondance, j’ai absolument besoin de recevoir des lettres. Un jour où je ne reçois pas de lettre, je sens un vide. Ça fait qu’il y a des lettres qui s’empilent et pour que je continue à en recevoir, il faut que j’écrive de mon coté.    
Sur quoi Georges Perros écrivait-il ?    
M.B. : Il écrivait toujours sur un demi A4. C’était presque toujours le même format. Je les ai déposées il y a 20 ans à la bibliothèque de la faculté de lettres de Nice, je pensais qu’elles y seraient bien, mais non, elle seraient mieux ailleurs, à la Bibliothèque Nationale, avec toutes les autres, c’est dommage que celles-là n’y soient pas.    

Ajouteriez-vous une lettre pour rétablir l’équilibre entre les lettres de Perros et les votre, absentes, à la fin de la correspondance ?

 
début
M.B. : Non, ce ne serait pas possible pour moi de refaire les lettres perdues. Je ne peux pas essayer de reconstituer ça. C’est impossible, ce que je peux faire, c’est autre chose. Au moment de la mort de Perros j’ai écrit un texte assez long qui s’appelle " L’école de gisants ". Donc j’ai pu faire ça. Peut-être que dans les années qui viennent je ferai encore autre chose. Mais je ne peux rien faire qui remplace les lettres qui ont été perdues, ce serait en quelque sorte dénaturer le document. Une petite préface, oui, mais uniquement quelques indications historiques. Sinon, une postface, pas dans le même volume, non, il faut laisser cela tel quel. Ceci dit, si des gens comme vous, me posent des questions, je m’efforce de répondre. Cela peut être publié ces entretiens et ça fait encore des livres ça, on en sort pas.    
Pourquoi avez-vous eu envie d’écrire ?    
M.B. : J’avais envie d’écrire des poèmes, très jeune. Et puis quand j’étais jeune, je couchais avec mes deux frères dans la même chambre et je leur racontais des histoires pour les endormir. Et je les endormais effectivement, et le lendemain je reprenais l’histoire, etc. C’était des espèces de 1001 nuits. À un moment, j’ai été très tenté par la peinture, et j’ai été aussi très tenté par la musique, finalement, la littérature m’a permis de faire presque tout ça, c’est pour ça que lorsque j’écris il y a toujours une espèces de nostalgie de la peinture et de la musique. Quand j’écris je veux faire voir et je veux faire entendre.    

Dans votre correspondance, avec Georges Perros, vous ne vous projetez jamais dans le futur, il n’y a pas d’ambition ou l’envie de devenir connu.

   
M.B. : Non, on n’avait pas besoin de dire quelque chose comme ça, on faisait des choses. Moi je faisais des gros paquets, lui il faisait des papiers collés. Mais voilà, on faisait, c’était là déjà. Si on avait été plus jeune on aurait pu dire " oh, moi plus tard je voudrais devenir un grand écrivain ", mais là on était déjà des écrivains, on avait pas besoin de dire : " plus tard on deviendra des écrivains ". Est-ce qu’on était grand ? Ça c’est une autre question. C’est une question à laquelle on ne peut pas répondre soi même. On était déjà embarqué, je faisais déjà des romans à l’époque. Ça avait l’air d’être très bien embarqué, la façon dont j’avais commencé, normalement les gens autour, journalistes, éditeurs, se disaient " il va continuer comme ça et puis il va en faire dix ou quinze ", puis voilà, le prix Nobel et aucun problème pour eux. Ça a tourné tout autrement parce que les voyages ont fait que j’ai été embarqué dans d’autres aventures. Là, on avait un chemin tout tracé. Lui, à l’époque, au début, était lecteur au TNP. C’était bien, qu’est-ce qu’il aurait aimé faire ? Il aurait aimé faire ce qu’il faisait. Il aurait pu peut-être s’occuper d’une revue, peut-être, mais pas plus que ça, par conséquent, il n’y avait pas de raisons, etc. On était déjà dedans, la question, c’était de survivre, c’était que ça continue.    
Vous n’aviez pas un désir de reconnaissance, de célébrité ?    
M.B. : Lui pas du tout, ça lui était complètement égal. Ce qu’il voulait c’était avoir cette espèce d’action atmosphérique sur un certain nombre de personnes qui venaient le voir, ça lui suffisait. Moi, j’avais envie d’être célèbre, j’ai toujours envie d’être célèbre, mais pas être célèbre pour n’importe quoi. J’avais envie d’être célèbre pour ce que je faisais et puis ce que je pourrais faire ensuite. Je n’avais pas envie d’être célèbre pour être célèbre, ça non.    
Quels rôles ont joué vos familles respectives pour votre travail d’écrivain, on a l’impression dans la correspondance que c’est vraiment quelque chose qui donne du sens à votre travail ?  
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M.B. : Oui, au début Georges Perros, lorsque je l’ai connu, n’avait pas de famille, il était célibataire, moi aussi, j’étais célibataire, mais à l’intérieur d’une famille nombreuse, ce qui est tout à fait différent. Puis je me suis marié, puis il a eu cette aventure avec Tania, puis à la fin, il s’est marié, et on s’est retrouvé tous les deux à avoir des enfants. À partir de ce moment là, c’était la chose la plus importante pour moi. Pour nous évidemment, tout le reste continuait, mais les mômes, la femme, tout ça, c’était absolument essentiel. Cela passait avant tout.    
Et cela a aussi nourri votre amitié ?    
M.B. : Oui, parce que nous étions deux célibataires devenus pères de familles nombreuses, avec des difficultés financières, surtout de son coté. Parce que moi j’avais mes petits boulots de prof. Lui aussi a eu pleins de petits boulots mais pour lui ça a été beaucoup plus difficile que pour moi.    

Il était souvent dans des situations précaires ?

   
M.B. : Oui, très souvent il n’avait plus un sou. Et alors quand il était tout seul, ce n’était pas tellement grave, mais quand il y avait une famille avec des enfants, c’était une autre paire de manches, il fallait trouver de quoi se chauffer, de quoi acheter des chaussures aux gosses. Alors un prix littéraire, c’était bienvenu.    
Est-ce que Perros suscitait des critiques à son époque, par rapport à ce qu’il était ?    
M.B. : Il n’était pas à Paris, à partir du moment où il est à Douarnenez, il est à l’écart, et de cette façon là, il est en quelque sorte intouchable, parce qu’il ne gêne pas à Paris. Les gens à Paris sont tous à jouer des coudes pour passer au premier rang, tout le temps. Tandis que là non, cet imbécile, il est allé s’enfermer à Douarnenez. Alors de deux choses l’une, ou on ne s’intéresse pas du tout à lui, ou alors on est intéressé par ce personnage singulier, qui est à Douarnenez mais qui est en correspondance avec untel et untel, que telle personne vient le voir. Alors pour certains il avait cette fascination, pour les meilleurs il avait cette fascination, les autres l’ignoraient complètement.    
Quel rapport avez vous entretenu tous les deux avec Paris, qui était le centre de la vie littéraire ?    

M.B. : Paris était évidemment le centre de la vie littéraire, il n’y a avait évidemment rien de possible en dehors de Paris, c’est encore vrai maintenant. Quand on décidait de ne pas être à Paris, c’était un acte très important. On prenait vraiment une distance, une espèce de proclamation d’indépendance, et qu’on pouvait vous reprocher. Alors ou bien on vous le reprochait en vous ignorant complètement, ou bien alors quelques fois on avait des remarques un peu acerbes. Nous étions tous les deux parisiens, nous aimions beaucoup la ville de Paris que nous connaissions bien, et puis il y a eu un moment où il a fallu partir. Lui s’est d’abord installé en banlieue, à Meudon, puis dans d’autres bleds puis après ça, Douarnenez. Moi je suis parti, j’ai couru le monde. Au début, je courrais le monde en disant " je reviendrai à Paris, ce sera toujours mon point d’attache ", et puis il y a eu un moment où l’appartement que nous avions à Paris était trop petit pour la famille qui grandissait.

Nous sommes allés à Berlin pendant une année, j’ai été invité à Berlin, il y avait une bourse. Là nous avions une jolie villa avec un grand jardin, c’était très difficile de revenir à Paris alors nous avons pris la décision d’aller en banlieue, de vivre en banlieue, ça a été très mal perçu par le milieu littéraire parisien. " Il est complètement fou, lui qui vit à Paris, il s’en va en banlieue ", " on peut avoir une maison pour les vacances, mais là ! ". On est allé en banlieue, à Sainte Geneviève des Bois. On n’osait pas venir nous voir parce que c’était tellement loin, isolé. Maintenant, c’est la banlieue compacte, mais à l’époque, c’était encore mal éclairé. C’était difficile, et après ça on est parti vraiment. Après une année aux Etats Unis, on est rentré à Nice. On s’est dit qu’on était bien à Nice. Je venais de temps en temps à Paris. Lui était à Douarnenez et moi j’étais à Nice, c’était plus difficile de se voir, c’est évident. Mais Paris était à peu près au milieu, entre nous deux. Puis après j’ai abouti ici. Je vais à Paris de temps en temps mais pas très souvent.

 
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Cela vous a mis en rupture avec tout un mouvement ?    

M.B. : Bien sûr, j’ai des amis qui au moment où nous avons quitté Paris pour la banlieue nous ont dit : " la carrière de Michel est mise en grand danger par ça ". J’ai dit " tant pis ", il y avait les enfants, je me suis dit " la carrière littéraire, elle se débrouillera, je me débrouillerai ", mais bien sûr les gens m’ont pris pour un fou, d’aller me perdre en banlieue. Dix ans plus tard, presque tous les intellectuels parisiens étaient bien obligés de vivre en banlieue. Ils se sont tous mis en banlieue parce que c’était le seul moyen de survivre.

Peu à peu j’ai constaté qu’on pouvait vivre en dehors de Paris. C’était beaucoup plus difficile pour les relations avec les éditeurs, les journalistes, la télévision, la radio, etc. Si j’étais resté à Paris, je serais peut-être beaucoup plus célèbre que je ne le suis maintenant, mais je n’aurais pas écrit les mêmes choses, alors il faut choisir. J’aime beaucoup Paris mais il y a un texte que se trouve dans le second volume du Génie du lieu, où il y a un texte qui court tout au long, et qui s’appelle " je hais Paris ", c’est une façon de l’aimer.

 

   
Quelle est votre activité actuellement ?    

M.B. : Moi ? (rires) Je suis à la retraite. Et puis j’écris toujours un peu. Je m’occupe pas du tout, je m’occupe le moins possible de mes livres. Si je m’en occupais vraiment, je pourrais obtenir des rééditions, des œuvres complètes. Ça me demanderait un travail, une énergie terrible et je trouve ça idiot. Il faut que les gens fassent ça tout seuls, ou bien tant pis, ou bien alors j’ai continué à écrire des petites choses. Je suis en train de terminer, mais alors j’ai presque terminé un livre pour la nouvelle collection " Poètes d’aujourd’hui ".

Vous voyez autrefois il y avait une collection poètes d’aujourd’hui chez Seghers et Seghers a été racheté par un autre éditeur. Aujourd’hui il y a eu énormément de numéros, environs 500 titres, pas tous très bons, forcément. Il y a eu un livre sur moi publié dans cette collection en 1972, il y a 30 ans. Par François Aubral, mais il y a 30 ans. Ça a été racheté par la maison Laffont qui a demandé à Alain Deltanne. C’est un poète qui travaille à France culture, et on lui a demandé de reprendre cette collection, de choisir quels sont les volumes à republier, en refaire d’autres. Il m’a demandé de faire un nouveau volume sur moi, et de le faire moi-même. Et puis en parlant, il m’a demandé de faire un volume double : un volume comme les autres de la collection, avec la moitié d’introduction et une moitié anthologie, et puis d’ajouter à ça un recueil de même format. Alors je l’ai fait.

J’ai fait un texte que j’appelle " alphabet d’un apprenti ", qui est formé de 135 petits chapitres, qui sont rangés dans l’ordre alphabétique. Une anthologie de textes qui sont tous postérieurs à 1972. pour que ça ne fasse pas du tout double emploi. Ce sont tous des textes récents. C’est cette anthologie qui déborde sur le second volume. Dans le second volume j’ai fait un recueil avec une composition un peu particulière. Voilà ce que j’ai fait. Voyez ces deux classeurs, c’est ça. Il montre 2 chemises. J’enverrai ça à la fin de la semaine. En recommandé avec " Accusé de Réception ", je veux être sûr que cela arrive.

   
Vous travaillez toujours avec des artistes ?  
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M.B. : J’aime beaucoup ça. J’ai pris un peu de vacances avec les artistes, parce que j’avais ce livre à mettre au point, mais j’ai recommencé, j’ai plein de livres en projet. Je peux vous en montrer. Il apporte un livre peint, de type accordéon. Voilà un livre à remplir, il y en a 5 exemplaires, il faut que je trouve quelque chose à mettre dedans. Il faut que je cherche d’abord si je n’ai pas quelque chose dans mes tiroirs qui pourraient aller, et ça arrive, mais très souvent, je suis obligé de faire quelque chose de nouveau. Alors ça me maintient actif.    

Vous faites ça avec un éditeur particulier ?

   
M.B. : Non, c’est l’artiste qui fait ça. Le livre est même déjà numéroté et signé. J’ai plus qu’a écrire. J’ai 10 ou 15 bouquins à faire. Peu à peu ces textes avec des artistes sont rassemblés dans des recueils, tant que je peux. Après ça il y a d’autres personnes qui s’en chargeront. Peut-être vous ?    
Mais ces livres ne sont connus que d’un public assez restreint.    

M.B. : Oui, là par exemple il n’y en a que cinq exemplaires. Pour moi ça suffit parce que je les écris à la main. L’artiste va en avoir trois et je vais en garder deux. Évidemment cela fait peu de monde, ça. Mais ça n’a pas d’importance parce que je les expose de temps en temps. Il y a des gens qui demandent de faire des expositions de mes livres alors je suis toujours très heureux. Évidemment, on les voit dans une vitrine ou bien développés comme ça. Il déplie l’accordéon.

Tous les livres peuvent se développer comme ça ; je ne sais pas comment je vais faire, probablement je vais faire une ligne qui ira comme ça. Il montre avec le doigt sur le livre. Peut-être deux lignes, une en haut et une en bas. Voyez, cela peut s’exposer très bien, ce n’est tout de même pas pareil que de le feuilleter, bien sûr. Je suis très heureux de faire des expositions, seulement ça me demande beaucoup de travail. C’est moi qui prête presque tout. Il faut trouver et puis ensuite l’exposition se termine, dans les meilleurs cas ça revient ici, pas trop abîmé et il faut tout ranger et c’est un gros travail. Je vais vous offrir des catalogues d’exposition. Il donne 2 exemplaires et commente les expositions. Ça me fatigue, je préfère faire des lectures.

 
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L’entretien s’est terminé sur l’évocation des expositions en cours de Michel Butor. L’écrivain voyage encore beaucoup et continue de nourrir son œuvre par des écrits divers, qu’ils soient réalisés ou non avec des artistes. Michel Butor a fait revivre son amitié avec Georges Perros comme si elle n’avait jamais cessé d’être une évidence.    
    Propos recueillis par Anne Clerc  
A suivre, le mémoire d'Anne Clerc sur la correspondance entre Georges Perros et Michel Butor... pour joindre
Anne Clerc :
tribu.lardeur@
wanadoo.fr

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